La machine à écrire

DestructionInstrument de destruction massive

Je ne vais pas passer par quatre chemins : je trouve que les machines à écrire sont sous-estimées dans l’histoire de la civilisation. L’extinction des machine à écrire est probablement la plus grande tragédie de l’histoire de l’humanité, juste avant l’holocauste.

Je me souviens que ma mère en avait une à la maison et qu’une bombe atomique tombait dans le salon à chaque fois qu’elle pressait une touche. C’était la guerre, avec plein de mitraillettes pis d’explosions. Chaque touche était un guerrier envoyé au front pour attaquer sauvagement le papier. Ce n’était pas comme aujourd’hui avec nos imprimantes lasers où le papier ressort tout chaud, l’air d’avoir fait un tour de manège. À l’époque, c’était la guerre, et le papier devait souffrir.

Une mauvaise lettre au mauvais endroit, et tout était à recommencer. Y’avait pas de deuxième chance. T’étais comme le gars sur la corde raide entre les deux World Trade Center, un faux pas, et c’étais fini. Secrétaire était un des métiers les plus dangereux du monde, à l’époque. Juste en haut du gars qui jonglait avec des tondeuses.

Sérieux, selon moi, les secrétaires de l’époque étaient les forgerons contemporains, sauf qu’au lieu de battre le fer, elles battaient des arbres. Y’en a certainement qui vont dire que je viens exactement de donner la définition du mot « bûcheron », mais à ceux-là je réponds: « Vos yeules ». Ou encore : « Un fou d’une poche ». Je n’ai aucune idée dans quel contexte cette expression peut être utilisé, mais j’ai le sentiment qu’ici, c’était approprié.

Bon, revenons au sujet principal, maintenant que j’ai arrêté de me contredire pour des trivialités.  À l’époque, mon héros n’était pas Chuck Norris ou Jean-Claude Van Damme. C’était Lisette Gagnon, secrétaire. Parce qu’on sentait toute sa hargne et sa haine pour le papier quand elle pressait une touche. C’était une guerre à finir entre elle et la forêt boréale. « Fuck you, Richard Desjardins », semblait dire son regard à chaque lettre.

Si vous la regardez trop longtemps, elle va sortir de l'écran pour vous mordre la jugulaire.Ne vous fiez pas au sourire, si y’aurait du son, on pourrait voir qu’elle sert les dents en grognant pour ne pas rugir de colère. Elle le fait juste très élégamment.

Pour moi, le fait que l’instrument le plus masculin au monde était manié par une femme était un paradoxe incompréhensible (j’ai compris bien plus tard…). Le fait qu’il ne te poussait pas automatiquement une grosse barbe pis du poil sur le chest à toute les fois que tu t’approchais de la machine était inconcevable.

Juste le nom, machine à écrire, et on pouvait tout de suite remarquer la manliness. Machine. Tu vois que la personne qui a inventé ça était beaucoup trop occupée à boire du grog, chasser des loups pis lutter avec Jacques Rougeau sur le top d’un volcan pour s’occuper des racines grecques ou latines. S’t’une machine. Point.

Dommage que la technologie ait prise le dessus. Sans les ordinateurs, aujourd’hui, on aurait encore des machines à écrire. Selon moi, la seule chose qui donne une longueur d’avance aux ordinateurs, c’est le fait que tu peux avoir accès à de la porn. Si t’aurais pu te crosser avec ta machine à écrire, c’est clair qu’elle serait encore sur le marché.

Mes parents ont jeté leur machine à écrire en quelque part vers la fin des années 90, en même temps que le chapeau et les bottes de cowboy de mon père. Je me console en me disant que y’a certainement un robineux qui a ramassé ça. Alors si vous voyez un vieux cowboy barbu l’air d’être constamment fâché, donnez-lui de l’argent, parce qu’il continue la guerre contre le papier pour nous tous.

…Avez-vous vu la belle conclusion que je viens de faire ? J’espère que ça vous a touché. En tout cas, moi, ça m’a touché. En tout cas, si ça ne vous a pas touché, vous devriez consulter, parce que vous avez manifestement un cœur de rubber.

-Keven

PS : C’est clair que si les Rock Machines se serait appelé les Rock Machines à écrire, ils auraient gagné la guerre des motards.

8 réflexions sur “La machine à écrire

  1. « e gars sur la corde raide entre les deux World Trade Center »
    Philippe Petit.

    Celui qui a passé comme 45 minutes sur la corde, pendant que les polices l’attendait de l’autre coté, ne sachant trop que faire.

    En passant, pas mal ta mère (sur la photo) 😉

    • Clairement!

      Et au risque d’avoir l’air viril – car s’en est un, de nos jours – je dirais que j’ai ENCORE une machine à écrire! J’en avais même deux, mais j’ai dû m’en séparer…

      (Silence pesant)… Je suis très ému!

      😉

  2. Je note que l’illustration, certes fort charmante, montre un matériel qui, si mes yeux ne m’abusent, est de nature électrique. Or il s’agit déjà là d’une hérésie. La véritable machine à écrire est purement mécanique, avec les touches qui se coincent et les tiges qui s’emmêlent, réclamant qu’on plonge les mains dans la corbeille pour remettre tout le monde en place, avec le ruban qui noircit les doigts, refuse de rester en place, sèche trop vite et se déchire, le gling délicat de fin de ligne, le rouleau qui couine, et la nécessité d’avoir des avant-bras musclés de pianiste virtuose pour venir à bout d’une seule page.
    Les machines électriques puis électroniques à boule, marguerite ou aiguilles, c’est déjà de la facilité, de l’outillage pour paresseux. Et les ordinateurs, pfff… quelle blague…

    • Mais que de poésie pour parler de cet invention qui met son utilisateur devant des sentiments si contradictoires! En effet, la machine à écrire engendre soit un ébahissement face à ce mécanisme de génie ou bien une chute libre vers folie devant cet outillage capricieux qui ne permet pas l’erreur.

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